Systema, temps de réaction neurologique et apprentissage

boostez-votre-cerveauPar le Docteur Andreas Bizas (août 2011)

Traduit par Alexandre JEANNETTE

Un facteur majeur dans une confrontation est le temps de réaction face à une attaque donnée. Comme nous le savons, il dépend d’un certain nombre de facteurs. Un bon timing est crucial si on souhaite l’emporter sur son adversaire.

Chaque discipline a crée des stratégies variées afin de gagner cet avantage temporel sur son adversaire.

Une approche répandue, utilisée par de nombreux professionnels comme les équipes du SWAT* ou les membres des forces spéciales, est d’utiliser des techniques génériques fondées sur les groupes musculaires les plus importants. L’idée derrière cette approche est :

  • Premièrement, de diminuer le temps de réflexion et donc le temps de réaction face à une attaque donnée.
  • Deuxièmement : les techniques fondées sur les groupes musculaires principaux permettent aux gens d’agir même sous pression.

Au niveau du cerveau, les réponses à une attaque physique sont variées et complexes mais il existe un aspect spécifique dont j’aimerais parler. Cet aspect nous permettra de comprendre la différence entre l’approche décrite plus haut (une approche « consciente ») et celle du Systema (une approche « subconsciente »).

Une caractéristique relativement peu connue du cerveau est que lorsqu’il prépare un mouvement il fait toujours un essai « à vide » : c’est à dire sans activer les muscles concernés et sans que cela soit conscient. Le cerveau possède une sorte d’émulateur : avant que nous ne devenions conscient du mouvement que nous souhaitons faire le cerveau va utiliser notre circuit neuronal pour « simuler » le mouvement. Cela inclura l’activation hormonale, les changements de pressions sanguines et toutes les réactions psycho-physiologiques habituelles. La seule chose manquant à l’appel étant l’activation des muscles (et notre intervention consciente). Une fois cet essai accompli notre mouvement devient conscient et nos muscles sont activés. Pour notre pensée consciente ce mouvement apparaît comme spontané, alors qu’en fait notre cerveau l’a déjà testé une première fois.

La différence se situe là : si le mouvement est dirigé par notre subconscient alors notre réponse consciente correspond en fait à un deuxième passage au niveau du circuit neuronal. Dans la méthode d’entrainement décrite plus haut viens s’ajouter une autre étape : le choix d’une technique. L’action ne se déclenche donc qu’au bout de trois étapes. Le Systema repose sur des mouvements subconscients, donc sur des actions qui se déroulent en deux étapes [une simulation au niveau du cerveau puis le mouvement en lui-même n.d.t]

Même si cet avantage ne représente qu’une fraction de seconde il a tout de même son importance.

Mais il ne s’agit là que de la partie émergée de l’iceberg : où le cerveau trouve-t-il la réponse à apporter à un stimuli donné ? Les neurologistes donnent parfois à nos réflexes le nom de FAP (pour Fixed Action Pattern). Un FAP est un résultat de la sélection naturelle pour réduire le temps de décision et de réaction. En d’autres mots le corps a appris, au cours de diverses expériences, à réagir d’une certaine manière face à certaines circonstances et afin de réduire le temps de réaction une réaction spécifique est appliquée en cas de besoin sans que le cerveau ait besoin de réinventer la roue à chaque fois. Ces réflexes sont profondément ancrés en nous. Ils peuvent aller de la simple fuite à des mouvements plus complexes. Cela n’en fait pas pour autant les réactions les plus efficaces en toutes circonstances.

Laissez-moi vous donner un exemple : si vous touchez un objet trop chaud, vous enlèverez immédiatement votre main, une réaction plutôt saine ! D’un autre côté si quelqu’un attrape un de vos doigts et commence à le tordre, la même réaction va aggraver la situation en augmentant la pression sur votre doigt. Comment peut-on changer cette situation et modifier nos réflexes ? La réponse tient en un seul mot : l’entrainement.

L’entrainement nous donne la possibilité de modifier nos réflexes.

Regardons cela d’un peu plus près. Les différentes zones de notre corps correspondent à différentes zones de notre cerveau [ce phénomène est nommé la somatopie, ndt]. Les zones les plus connues sont l’homonculus moteur etl’homonculus sensitif. L’interaction de ces zones est très hiérarchisée et va des zones les moins sensibles à celles qui le sont plus. Les informations corporelles passent par les premières zones sensitives et passent ensuite par des systèmes de traitement de plus en plus complexes. Plus elles progressent, plus le volume d’informations s’accroit : émotions, souvenirs, vision de son propre corps, douleurs, etc. L’information redescend ensuite pour être a nouveau vérifiée à chaque étape, une réaction appropriée est alors éventuellement adoptée puis transmise au système moteur pour être accomplie. En dépit de son apparente complexité, l’ensemble du processus ne prend qu’une fraction de seconde. Nous pouvons également noter qu’en dépit de nos efforts, toute action est rattachée à une ou plusieurs émotions. Que nous en ayons conscience ou non, c’est inévitable !

A l’aide d’un entrainement régulier nous pouvons enseigner à notre corps à répondre à certaines situations avec les réponses que nous aurons choisis. Tout l’intérêt se trouve là : nous pouvons choisir d’apprendre des réactions spécifiques (des techniques) ou nous pouvons apprendre à notre corps des principes généraux fondés sur la relaxation des mouvements.

La différence entre ces deux approches viens du fait que dans le deuxième cas nous laissons notre corps trouver ses propres solutions tant qu’il respecte les principes choisis, à savoir des mouvements détendus, efficaces et naturels, comme c’est le cas dans le Systema.

Pour avoir accès à ce type de mouvements nous devons comprendre que notre système nerveux fonctionne par le biais de ce qu’on appelle la facilitation. Pour faire simple : plus nous utilisons une action, plus les chances qu’elle soit choisie plus tard est élevée. Si nous privilégions toujours la même réaction, elle deviens un réflexe face à un stimuli donné. Mais si nous utilisons continuellement une variété de mouvements spécifiques tout en conservant les mêmes principes, un mouvement détendu et calme, c’est cette qualité qui va devenir un réflexe sans lui attacher un mouvement spécifique. Le cerveau choisira le mouvement qu’il considère être le plus approprié. Il piochera parmi les mouvements qui lui sont le plus familier (grâce à l’entrainement). Il aura ainsi plus de choix, ce qui sera un avantage pour s’adapter à une situation donnée.

Une fois que la réponse subconsciente s’est produite nous pouvons consciemment diriger l’action si nécessaire : nous pouvons en effet agir en même temps que les réponses qui se produisent déjà et en apparence nous faisons cela sans perte de temps. En termes simples, le cerveau est multitâches (à strictement parler, en raison du côté on/off du système nerveux les actions conscientes et subconscientes se succèdent en fait en alternance).

Une approche subconsciente nécessite néanmoins un certain degré de confiance : nous intégrons des principes en espérant que les meilleures réponses seront inconsciemment choisies en cas de besoin. C’est une approche très différente que celle qui consiste à apprendre des techniques dédiées à des situations précises.

Un avantage de l’approche par principe par rapport à l’approche par technique est que le cerveau ne s’ennuie pas dans des répétitions sans fin, chaque mouvement étant légèrement différent et donc nouveau. Une fois que les principes ont été établis quelque chose de merveilleux arrive : au lieu d’un panel limité de réponses techniques nous avons maintenant accès à un nombre illimité de réponses fondés sur les principes établis. Nous avons entrainé notre corps à fournir ses propres solutions face à des situations données. Bien entendu le corps développera toujours ses réponses favorites, en accord avec les facilitations neurologiques, les paramètres physiques et les compétences de chacun.

Il est important de souligner que la relaxation est absolument impérative de manière à pouvoir travailler au niveau subconscient. Lorsqu’ils sont affectés par la tension (liée à la peur, l’agression…) nos cerveaux perdent leur capacité à être créatifs, à être multitâche et à terme à fonctionner efficacement. On a déjà beaucoup écrit sur les effets débilitants de la tension sur nos performances, surtout dans les situations de Combat/fuite. Ce point n’est pas le sujet de cet article mais je voudrais insister sur le fait qu’il est crucial de créer une ambiance de travail détendue si l’on souhaite travailler efficacement au niveau subconscient.

Il est également important, lorsque l’on s’entraine pour faire face à des confrontations, il faut incorporer une interaction humaine avec des contacts significatifs : frappes, attitude agressive, etc. Cela aidera à produire des stimuli convaincants et permettra de reconditionner les réflexes qui leurs sont liés. S’ils sont pratiqués correctement ils permettront également de réduire la peur et les douleurs liées à la tension.

Un autre point intéressant : la recherche a montré que l’apprentissage à vitesse lente de technique complexe réduit de façon significative le temps requis pour l’apprentissage de ces mouvements. Ça ne vous rappelle pas quelque chose ? [pour ceux du fond je rappelle qu’au départ les exercices du Systema doivent êtres pratiqués à vitesse lente… Non, encore plus lent que ça ! n.d.t]

Plus nous nous entrainons plus nous descendons dans la hiérarchie du système neuronal. Cela signifie qu’après des années d’entraînement les réponses que nous développons seront intégrés aux groupes moteurs principaux. A ce stade, nous avons intégré le système et nous réagirons instinctivement et spontanément avec des réflexes fondés sur notre entrainement. En d’autres mots notre subconscient saura comment réagir spontanément à une attaque d’une façon fluide, créative et intelligente, comme à l’entraînement au lieu de le faire de façon abrupte, tendue et précipitée, nous serons également capable de travailler avec une implication émotionnelle moindre et une tension liée à la peur moins importante.

Il est évident que l’apprentissage fondé sur des techniques peut se substituer aux réflexes mais si nous continuons à impliquer notre esprit conscient dans des choix techniques nous allons allonger notre temps de réaction. C’est particulièrement visible chez les nouveaux élèves et ne changera qu’après un entrainement prolongé.

Comme nous l’avons déjà dit, il est parfaitement acceptable de prendre des décisions conscientes au cours d’une confrontation physique mais le truc c’est de ne pas faire obstacle à une réaction spontanée. Il vaut mieux intercaler une action consciente entre les phases du travail subconscient. Cela minimisera les interférences et vous permettra de travailler de façon fluide et naturelle. Tout en vous permettant de maintenir une vision stratégique des évènements.

Aussi simple que cela puisse paraître et aussi simple et naturel que les mouvements d’un pratiquant de Systema compétent peuvent être c’est un processus très difficile à acquérir. La difficulté viens du temps d’entrainement requis afin d’acquérir ce processus de réponses subconscientes et conscientes en cas d’attaque ou de stress. Mais un minimum d’esprit ludique, d’engagement et de foi peuvent en faire un voyage particulièrement heureux et satisfaisant. Sans parler de ce que vous apprendrez sur vous-même et vos émotions en étant à l’écoute de vos sensations durant l’entrainement.

Dr Andres Bisaz est instructeur de Systema en Australie, il est également docteur au sein de la Clinique des sports de Melbourne.

* : grosso modo équivalent au RAID français. Non, l’autre, pas celui contre les moustiques.2011.